Harunobu longeait la large rivière qui s'écoulait inlassablement, marchant sur les galets avec calme. Il avait beau avoir soif, il ne s'arrêtait pas, préférant s'abreuver dès qu'il quitterait le cours d'eau, ce qui lui semblait beaucoup trop loin. Il n'apercevait même pas le bout du fleuve. Quelquefois, il pataugeait dans l'eau qui venait lécher les galets, ne s'en souciant guère. Le loup solitaire avait déjà dévoré un lapin, et, bien qu'il soit maigre, cela l'avait rassasié. À force de se nourrir moins qu'avant, il s'était habitué à se nourrir de petites proies. Il tourna la tête vers l'opposé de la grande rivière et vit que les arbres étaient en fleurs. Il y avait même plusieurs arbustes qui commençaient à les perdre. Malgré l'atmosphère douce, un vent froid lui cinglait les moustaches. Il n'y prêta pas attention, suffisamment protégé par son abondante fourrure pour ne pas tomber malade. Harunobu s'arrêta, la langue pendante. Pivotant vers le fleuve, il se pencha vers lui et but longuement, jusqu'à étancher sa soif. Il n'avait pu se retenir davantage. C'était un peu comme une torture, d'avoir soif à côté d'une source sans pouvoir s'y abreuver.
Il reprit sa route avec confiance, humant l'air quelquefois. Il avait perdu la trace de son père depuis deux jours à cause de la pluie qui avait lavé toutes les odeurs, et cela le rendait furieux. Il avait pris un chemin au hasard, mais il avait à présent la désagréable impression que c'était la mauvaise route à prendre. Il continua tout de même, espérant croiser une personne qui l'aurait vu ou senti sa trace. Il songea à ce qu'il allait faire s'il le retrouvait. Se souviendrait-il de lui? Avait-il eu d'autres compagnes et d'autres petits? L'idée de ne pas connaître des membres de sa famille le stressa. Si ça se trouve, il avait même des cousins et des cousines. Il s'imagina, entouré d'une famille recomposée. Il se sentit bizarre, par la suite. Jusqu'à ce qu'il entende des branches craquer. L'idée que ce soit un ours le fit gronder avec agressivité et peur. Si c'en était un, il prendrait les jambes à son cou.
La zone du bruit se trouvait dans la forêt, juste en face de lui. Il gronda plus, d'un air féroce, surveillant des gestes dans la pénombre des buissons. Il devait faire peur à n'importe qui comme ça, les crocs découverts et la fourrure hérissée.

Après avoir marché toute la journée sous un soleil de plomb, je suis assoiffée et j'ai mal aux pattes. Lorsque j'aperçois au loin un immense lac céruléen, le soulagement m'envahit. Je m'élance vers le point d'eau, mais pas trop vite quand même. Je m'approche prudemment de l'eau, le ventre noué. Un galet roule sous ma patte et je recule d'un bond en poussant un grondement de gorge. Je déteste m'approcher de l'eau, et encore plus lorsqu'elle est profonde comme ça. Prenant mon courage à deux pattes, je m'approche et, prenant bien soin de garder mes pattes à bonne distance, je tends le cou pour me désaltérer. Je bois à longues gorgées, savourant cette eau bien fraîche, mais toujours angoissée à l'idée de tomber dedans. Finalement, une fois ma soif apaisée, je m'éloigne à grands pas du lac, ivre de soulagement. Apercevant un petit coin de bois fleuri, à quelques pas de là, je décide d'aller faire une petite sieste. Le vent me porte une odeur légère de tulipe. Comme à mon habitude, je grimpe à un arbre pour aller m'installer dans les branches. Je ne m'installe dans un terrier que lorsque j'ai l'intention de m'y attarder. Mais là, pour une petite sieste, cet arbre aux branchages entremêlés sera parfait. Je m'y installe et roupille une ou deux heures.
Lorsque je me réveille, le ciel se pare des couleurs orangées du crépuscule. Mon heure préférée. Je me réinstalle pour mieux admirer le soleil couchant, faisant au passage tomber quelques brindilles et craquer quelques branches. Un grognement sourd attire mon attention. De mon point de vue, je peux apercevoir un jeune loup, à l'orée du bois, qui gronde furieusement, dévoilant des crocs acérés. Mais j'ai beau regarder aux alentours, l'oreille dressée et la truffe aux aguets, je ne détecte rien, aucun danger, aucun autre loup.
Qu'est-ce qu'il a, celui-là ?
C'est moi qui le dérange, peut-être ? Oh, pitié ! Je suis à moitié endormie, perchée à plusieurs mètres, et je suis plus petite et moins forte que lui.
Agacée de ne pas pouvoir profiter du couchant à cause de son grondement incessant, je descends prestement de mon arbre et vient me planter en face de lui. Je grogne :

- Dis donc, je peux savoir ce qui te prends, à grogner comme ça ?

Je marque une pause et plante mon regard vairon dans le sien.

Il sent son cœur battre à toute allure, comme s'il allait éclater. La panique commence à vouloir lui dicter ses mouvements. Tout son corps entier tremble, mais il n'arrive pas à détaler. Ses pattes semblent clouées au sol. Sa terreur redouble. Lorsque les buissons se mettent à frémir, il manque de pousser un couinement, mais serre les crocs, tout en grondant. Il crut que son cœur allait lâcher lorsqu'il sent une odeur... de renard. Lorsque celui-ci apparaît, l'air agacé, il pensa qu'il allait mourir de soulagement. Sa fourrure retomba, et son arrière-train s'affala sur les galets. Les yeux encore ronds, il vit que le canidé en face de lui était une femelle. Elle plongea son regard dans le sien, et lâcha:

"-Dis donc, je peux savoir ce qu'il te prend, à grogner comme ça?"

Ses yeux étaient étranges, même si Harunobu en avait déjà vu deux de plusieurs couleurs. L'un était bleu, l'autre jaune. Il avait connu un jeune loup avec un œil ambré et l'autre jaune vif, lorsqu'il avait traversé un grand territoire et qu'il s'était réfugié dans une meute. D'autant plus que ceux du goupil étaient pâles. Il la fixa et lâcha un énorme soupir de soulagement. Si ç'avait été un ours... Qu'aurait-il pu bien faire? Il serait resté là, prostré, paralysé par la peur, sans doute. Il avait eu si peur pour une renarde... Il se sentait ridicule, comme ça. Mais à présent qu'il avait retrouvé son calme, son allure était plus imposante, plus sage. Il répondit, les yeux plantés de ceux de la renarde:

"-Désolé. Je t'ai prise pour un ours. Tu es?"

Il observait maintenant avec plus d'attention la femelle. Elle était rousse, mais le bout de sa queue était blanc, et ses pattes noires. Le bout, par contre, était blanc, comme lui. Ses petits gants étaient mieux sur un renard que sur un loup. Son poitrail et son ventre était blanc, et son museau était entouré de fourrure noire.
L'idée de tomber sur elle le réconforta. Une autre présence avec qui il pouvait discuter, soulageait un peu la solitude qui pesait lourdement sur son cœur. Il commençait à en avoir marre d'être seul et commençait à se parler à lui-même, des fois. C'était un peu comme s'il devenait fou. Il prit peur à cette idée, puisque si la renarde ne l'accompagnait pas dans son périple, il serait à nouveau le solitaire qui avait arpenté tant de territoires différents. Bah, c'est mieux que de perdre la parole... Mais l'espoir venait de renaître dans son esprit et il perdit son expression froide, qui se changea en un demi-sourire sincère, incitant le goupil à venir près de lui.

Le jeune loup au pelage clair a les yeux écarquillés, et il semble figé. Je hausse un sourcil.
Eh bien quoi, il s'est changé en arbre ?
Mais il semble se "réveiller" car son regard se fait plus calme. Il a l'air... soulagé ? Ses yeux se plantent dans les miens et il prend la parole :

- Désolé. Je t'ai prise pour un ours. Tu es ?

Un... ours ?
Je manque d'éclater de rire. C'est le premier loup que je rencontre qui arrive à confondre un renard et un ours ! Je veux bien qu'il ne m'ait pas vue, mais quand même, je faisais bien moins de boucan qu'un ours ! Mais je me retiens, consciente que ce n'est pas très poli. Il me fait un petit sourire ; visiblement il veut sympathiser. Je lui réponds d'un sourire joueur et m'incline exagérément devant lui en lançant sur un ton taquin :

- Mon nom est Vitany. Et toi, noble voyageur ?

Je m'ébroue, chassant les quelques feuilles qui s'accrochaient encore à ma fourrure, et m'assois en face de lui, les yeux brillants de malice.

Ses moustaches s'agitèrent, et le jeune mâle fut déçu de ses moqueries. Elle devait sûrement les garder pour elle pour être soi-disant "polie". Enfin bon, il préférait quelqu'un qui était présent. "Présent", c'est être là, sur terre, à parler et à rigoler. Avoir un compagnon de route qui fixe le vide en songeant à quelque chose, c'était presque pareil que de cheminer seul. Il reporte son regard glacé sur sa fourrure rousse, noire et blanche. Elle s'ébroua, faisant ainsi voltiger quelques feuilles de fourrés autour d'elle, et glapit:

"-Mon nom est Vitany. Et toi, noble voyageur?"

Avant de dire ça, elle s'était inclinée d'un air exagéré et, ensuite, s'était assise, les yeux brillants. Harunobu aima sa malice et devina qu'elle était intelligente. Il savait que les renards ne vivaient pas en meute, mais si elle avait une famille, elle ne voudrait sans doute pas les quitter pour un périple, sauf si elle avait le goût de l'aventure. Il espéra qu'elle le possédait. En s'approchant ainsi, il avait pu encore mieux la distinguer. Sa frimousse s'agitait souvent d'un air malin. Le loup savait que les renards étaient réputés pour leurs ruses... Et leurs sournoiseries. Jusqu'à ce jour, il n'avait croisé que des vilains, des jeunes et des vieux, qui lui avaient fait de mauvais tours. Il n'avait pas réussi à se venger à chaque fois, malheureusement pour lui.
Il devina sans mal que Vitany ne lu voulait aucun mal. Car Harunobu voyait dans les yeux des goupils s'ils lui mentaient, ou si une lueur moqueuse brillait dans leur regard. Elle avait beau en avoir un soupçon, le mâle sut que c'était par amusement, et non par sournoiserie.

"-Harunobu. J'espère que vous êtes satisfaite de ma réponse, chère mademoiselle." Dit-il en faisant une courbette.

Il releva la tête et la regarda, un demi-sourire en coin. Il allait enfin pouvoir s'amuser, pour une fois. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas joué avec insouciance!

Le loup exécute une courbette et répond :

- Harunobu. J'espère que vous êtes satisfaite de ma réponse, chère mademoiselle.

Mon sourire s'élargit ; je suis ravie qu'il se prenne au jeu. Le-dit Harunobu relève la tête et nos regards se croisent. Ses yeux nacrés brillent de malice. Je m'esclaffe. Décidément, ce loup commence à me plaire !
Je m'incline de nouveau, le museau effleurant le sol, puis gonflant ma fourrure lustrée, je lance d'un ton exagérément cordial, presque pompeux :

- Je le suis, très cher ! Vous avez un nom très élégant. Comment allez-vous, en cette divine soirée ?

Je termine ma phrase par une révérence sans pouvoir empêcher mes babines de former un sourire radieux. Ma curiosité me fait commencer à tourner autour d'Harunobu en sautillant. Ses muscles sont développés et saillent de sous son épais pelage. Je remarque également qu'il a une profonde cicatrice sur la cuisse.
Je me demande qui lui a fait ça... Probablement un humain.
Je ne lui pose cependant pas la question, cela le gênerait sûrement. Si nous devenons amis, peut-être lui demanderai-je. Puis je viens me rassoir en face de lui, les oreilles dressées et sourire aux lèvres, en attente de sa réponse.

Son sourire s'amplifia, et le loup fut content d'avoir pris la décision de s'amuser un peu plutôt que de tenir une conversation sérieuse. La renarde s'esclaffe, ravie, et s'incline une nouvelle fois avec peu de modération. Elle glapit d'une voix distinguée:

"-Je le suis, très cher! Vous avez un nom très élégant. Comment allez-vous, en cette divine soirée?"

Harunobu lui rendit un regard malicieux, à la fois attiré et obsédé par les couleurs différentes de ses yeux. Le bleu l'excitait, tandis que le jaune l'apaisait. Il se sentait très bizarre, mais ça ne lui déplaisait pas, et ça triplait même son intéressement. Vitany ne fit pas attention à sa curiosité bien cachée néanmoins, et exécuta une courbette semblable à celle du mâle et fit un grand sourire. L'air excitée, elle commença à bondi autour de lui. Le loup lui rendit son sourire avec sincérité. Il se calma un peu. Et tourna la tête vers le ciel. La femelle avait raison, la fin de l'après-midi commençait à laisser place au soir. Il songea à ce qu'il aurait pu parcourir, comme kilomètres, au lieu de rester ici à s'amuser. Il ne regretta pas son choix pour autant: il appréciait de plus en plus Vitany, et espérait qu'ils seraient amis. Harunobu croisa son regard, et la surprit à jeter un œil sur sa balafre. Elle s'assit en face de lui, les oreilles dressées et sa fourrure rousse ébouriffée. Il décida de ne pas plomber l'ambiance et lui répondit:

"-Je me porte aussi bien que vous avez l'air d'aller."

Il attendit un peu, et une expression sombre voila son visage. Son sourire disparut et une expression froide sur le visage lui donna une allure triste. Il lui dit en la fixant droit dans les yeux:

"-C'est un ours qui a fait ça. Sa mère a tué la mienne. C'est pour ça que je confonds n'importe quel animal que je ne vois pas avec un ours."

Harunobu répond en souriant :

- Je me porte aussi bien que vous avez l'air d'aller.

Personnellement, je me porte très bien. Je souris au jeune loup, mais écarquille les yeux, étonnée, quand je vois son regard se voiler. Maintenant, il a l'air sombre, visiblement plongé dans de mauvais souvenirs. Ses yeux croisent les miens. Il a l'air terriblement chagriné ; ses yeux brillent comme s'il allait pleurer. Il me dit d'une voix triste :

- C'est un ours qui a fait ça. Sa mère a tué la mienne. C'est pour ça que je confonds n'importe quel animal que je ne vois pas avec un ours.

Je baisse légèrement les oreilles. Il a dû me voir regarder sa cicatrice. Je hoche doucement la tête pour lui montrer que je compatis à sa peine et à sa douleur, mais je ne réponds pas. Je ne veux pas parler de mon passé, je ne veux pas revivre tout ça, même par le biais des paroles. Je ne veux pas que ces images affreuses me reviennent en mémoire, alors je les repousse et, en croisant les yeux nacrés brillants de chagrin d'Harunobu, il me vient une idée.
Je redresse les oreilles, poussée par une pulsion joueuse. Je lui donne un petit coup de patte, bondis en arrière et m'aplatis au sol. Les yeux plissés, la langue sortie, remuant la queue, je regarde Harunobu. J'espère qu'il va accepter. J'ai envie de me dépenser, et jouer à me battre contre lui me semble une bonne solution. De plus, cela lui permettrait de penser à autre chose qu'à sa défunte mère et de mettre son chagrin de côté pendant un moment.

Elle rabattit ses oreilles en arrière et baissa les yeux avec une once de respect et de gêne. Elle fit notamment un petit geste de tête pour prouver au loup qu'elle le comprenait. Celui-ci lâcha un petit sourire et eut un sourire triste au coin de la gueule en songeant à ce que la renarde avait pu endurer dans son enfance. Peut-être avait-elle déjà croisé ou vu des humains? Harunobu savait comment ils étaient, car son père et les anciens s'étaient déjà retrouvés face-à-face avec eux. Il n'avait cependant pas envie de presser le temps. Les hommes attendront, pour l'instant la priorité était de retrouver la trace de son père qui avait été effacée par la pluie. Sa frustration lui noua la gorge. Dire qu'il n'avait jamais été si près du but! Il fallait à tout prix qu'il le retrouve, qu'il demande à d'autres personne s'ils l'avaient vu ou senti. Sinon, il ne le reverrai jamais.
Encore une fois, il se demanda si son père se souviendrait de lui. Il devait avoir bien changé, après tout ce temps... Il avait quitté sa sœur et lui alors qu'ils n'étaient que de jeunes louveteaux. Cependant, Harunobu espérait que son père ferait le rapprochement avec son fils grâce à sa profonde cicatrice qui lui balafrait la cuisse. Il ne devait pas y avoir deux mêmes loups gris, aux yeux pâles, avec cette particularité.
Le mâle gris retrouva ses esprits lorsqu'il sentit un coup sur ses avant-pattes. Vitany était couchée devant lui, sa langue pendant devant sa gueule noire, remuant la queue comme un chiot, elle le regardait les yeux plissés mais brillants de malice. Le grand canidé prit le temps de réfléchir avant de se jeter sur elle. Il la fit rouler doucement au sol, puis la nargua d'un coup d'œil. Mieux valait profiter du temps qu'il passait avec la renarde.
Car il lui faudrait bien la quitter.

Harunobu reste un instant à me regarder, songeur.
Eh bien ? Il attend le dégel ?
Mais il se décide enfin et rejoint le jeu en me faisant rouler au sol. Il a les gestes doux et l’œil joueur. Je réplique en grimpant sur son dos avec agilité et en lui mordillant la longue fourrure qui émerge d'entre ses épaules musclées. Puis je redescends et lui attrape une oreille en grognant gentiment. Puis je m’élance en courant sur les galets. Mais ma patte dérape, et je glisse jusqu’à la berge. Lorsque je sens une vaguelette lécher la fourrure de mon flanc, je me relève d’un bond en poussant un glapissement et je recule aussi vite que possible. Ma fourrure est hérissée comme jamais et ma respiration est saccadée. Les yeux fixés sur le lac, je m’assois et lisse ma fourrure en bataille en commençant par ma queue touffue. Puis je croise le regard de nacre d’Harunobu et, un peu penaude, je lui lance :

- Désolée pour ça.

Je me relève et le rejoins, la fourrure du dos toujours ébouriffée. Je m'assois près de lui, et plonge mes yeux vairons dans son regard pâle. Je lui avoue, un peu gênée :

- L'eau me terrorise.

Des flash-backs me brouillent la vue. Je revois Kino, sa patte s'agitant, et cet affreux torrent, et mon cœur se serre. Je repousse de nouveau les images de mon passé, mâchoire crispée. Je secoue la tête et cligne les yeux. Me rappelant qu'Harunobu est juste à côté, j'ajoute d'un ton que je veux amusé et plus enjoué :

- Alors n'essaie même pas de me pousser dans dans le lac pour plaisanter !

Avec une vitesse surprenante, la renarde lui grimpa sur le dos avec agilité et lui mordille la fourrure et l'oreille gentiment. Des souvenirs fusèrent dans l'esprit du loup; ceux de son enfance, quand il jouait avec sa sœur. Il se souvint, une fois, lui avoir décoché une ruade pour se dégager de sous elle avec violence. Ils en avaient été tous les deux choqués, mais cette maladresse fut vite pardonnée. Harunobu se souvint avec mélancolie de la compréhension de sa sœur. Elle savait compatir pour tout le monde, même pour les ennemis et les prédateurs. Ce qui ne voulait pas dire qu'elle était déloyale. Le mâle gris pensa à ce qu'il aurait fait s'il était resté dans la meute avec elle. Il la regrettait amèrement. Il mourrait d'envie de la revoir, ne serait-ce qu'une seule fois. Harunobu eut l'impression que son cœur se déchirait en mille morceaux. Il en eut le souffle coupé.
Un gémissement le fit secouer avec énergie sa tête pour lui faire reprendre ses esprits. Assez rêvassé: il se précipita vers Vitany, vérifiant qu'elle n'était pas blessée. Mais ses absences de blessures le surprirent. Elle avait juste les pattes mouillées, et alors? La goupil lui répondit d'elle-même en s'asseyant, la fourrure hérissée:

"-Désolée pour ça."

Dans sa voix, Harunobu pouvait sentir de la peur et de la gêne. Avoir peur de l'eau pour un canidé était assez étonnant, mais il ne trouvait pas ça honteux du tout, et sut pourquoi: il la considérait déjà comme son amie. Cette idée le fit sourire de contentement.

"-L'eau me terrorise."

Elle eut l'air de revivre des cauchemars et des mauvais souvenirs. Inquiet, le loup vit un voile se lever sur ses yeux vairons. Peu lui importait. Il n'allait pas se moquer d'elle. Sûrement pas! Il voulut soudain à vaincre sa phobie. Rien n'était impossible, même si il faudrait beaucoup de patience et de temps. Il y arriverait, songea-t-il, convaincu à présent. Vitany glapit alors d'un ton faussement enjoué:

"-Alors n'essaie même pas de me pousser dans le lac pour plaisanter!"

Harunobu, l'air compatissant, se frotta à elle avec affection. Il attendit un peu avant de dire d'une voix confiante et très honnête:

"-Je ne ferai jamais ça. Su tu veux, je peux t'apprendre à te réhabituer à l'eau, petit à petit."

Une étincelle de compassion s'allume dans les yeux pétillants d'Harunobu. Je détourne le regard. Je n'aime pas trop inspirer la pitié, même si je sais qu'il n'est pas méprisant et qu'il s'inquiète juste pour moi. Soudain, il s'approche et se frotte contre moi. Nos fourrures s'entremêlent. Je sais qu'il est plein de bonnes intentions et que c'est une marque d'affection, alors je lui rends son étreinte de bon coeur. Sa voix s'élève, très douce, et il affirme d'un ton confiant :

- Je ne ferai jamais ça. Si tu veux, je peux t'apprendre à te réhabituer à l'eau, petit à petit.

Bien que sa réponse me rassure un peu, elle me fait également tressaillir.
M'habituer à l'eau ? Certainement pas !
Je crispe la mâchoire et, plongeant mes yeux dans ceux de mon ami, lui réponds entre mes crocs d'une voix tremblotante :

- C'est gentil à toi, Harunobu, mais la réponse est non. Je n'ai pas l'intention de "m'habituer" à l'eau. Je n'ai jamais appris à nager, et tant mieux parce que je ne le souhaite pas. Pas question que j'aille dans l'eau.

Je frissonne quand la voix de Kino me revient en mémoire ; je crois entendre encore son rire résonner dans mes oreilles. Puis tout s'enchaîne très vite. Comme des éclairs. Je revois tout. La harpie, ses griffes et son regard mauvais. La course et la chute. Le torrent et ses eaux noires tumultueuses. Kino, son visage et son sourire. Son dernier cri de terreur. J'ai l'impression de l'entendre une nouvelle fois me vriller les tympans. Ma fourrure se hérisse et je me crispe en me recroquevillant sur moi-même. Je respire plus fort ; j'ai l'impression de sentir mon coeur se déchirer une nouvelle fois. Je me reprends après de longues secondes. Encore tremblante sur mes pattes soudain faibles, je lève la tête et croise le regard d'Harunobu. Je le soutiens longuement ; j'ai l'impression de redevenir la jeune renarde terrorisée que j'étais alors. Je me relève péniblement sur mes frêles pattes et me rapproche un peu de lui pour sentir sa fourrure chaude près de moi. Sa présence et son contact me rassurent un peu. Je souffle alors d'une voix rauque :

- Jamais.

Elle s'était aussi frottée à lui, et le loup était content qu'elle ne se soit pas détournée. Ils s'entendaient déjà si bien... Mais lorsqu'il avait dit sa proposition, elle avait serré les rocs et s'était raidie. Dans ses yeux reflétant sa mi-peur et sa mi-impression de sécurité, il sut que ça allait être difficile, avec elle. Très difficile.

"-C'est gentil à toi, Harunobu, mais la réponse est non. Je n'ai pas l'intention de "m'habituer" à l'eau. Je n'ai jamais appris à nager, et tant mieux parce que je ne le souhaite pas. Pas question que j'aille dans l'eau.

Il voulut protester avec vigueur, bien décidé à le faire, mais un tremblement de la renarde l'arrêta net. Elle frissonnait, et dans ses yeux brillaient le désespoir et la terreur. Harunobu eut envie de la secouer, inquiet, mais il n'osa pas poser la patte sur son épaule. Pensant qu'elle revivait un mauvais souvenir et qu'il ne fallait pas la déranger -ces moments-là étaient importants- et attendit avec patience malgré l'inquiétude qui le rongeait de la voir aussi horrifiée. Lorsqu'elle reprit ses esprits, elle leva sa tête rousse et noire vers lui et plongea ses vairons dans son regard pâle. Elle se leva et se rapprocha un peu plus de lui, come pour se rassurer. Le loup se sentait dans la peau d'un grand frère, qui rassurait sa petite sœur après qu'elle ait fait un cauchemar. Il enroula sa longue queue touffue autour d'elle avec des gestes doux et protecteurs. Il l'entendit glapir:

"-Jamais."

Cependant, sans se déloger, il lui répondit, tout en regardant droit devant lui, avec une voix douce mais ferme:

"-Tu préfères rester terrorisée par l'eau toute ta vie?
Je ne te demande pas de nager, mais de te réhabituer. Il n'est pas question d'apprendre à faire quelque chose. Mais c'est toi qui vois. Si tu as besoin de moi, je serai là."

Le soir commençait à laisser place à la nuit, d'un noir velouté charmant. Préférant dormir à couvert pour plus de sécurité, il entraîna Vitany sous les frondaisons. Il se coucha près d'elle dans les fourrés après s'être assuré qu'ils ne risquaient rien ici. Il leva la tête vers la renarde vive d'esprit, soudain très triste. Demain, il lui faudrait retrouver la trace de son père. Demain, il lui faudrait reprendre son voyage. Demain, il lui faudrait la quitter.

Harunobu, le regard tourné vers l'horizon, me répond d'une voix à la fois douce et ferme :

- Tu préfères rester terrorisée par l'eau toute ta vie ? Je ne te demande pas de nager, mais de te réhabituer. Il n'est pas question d'apprendre à faire quelque chose.

Je plisse les yeux, le coeur gros. J'ai bien trop peur de l'eau... Elle me rappelle trop de mauvais souvenirs... Elle me hante. Comment pourrais-je un jour me réhabituer à son contact ?
Harunobu continue d'un ton très doux :

- Mais c'est toi qui vois. Si tu as besoin de moi, je serai là.

Je lève le museau et observe le visage du jeune loup. Il me connait depuis... quoi, à peine vingt minutes ? Et il veut déjà m'aider. On dirait que je me suis faite un bon ami. Je souris à Harunobu, puis je tourne mon regard vers le ciel. Le voile de la nuit éloigne peu à peu les couleurs chaudes du coucher de soleil, et les premières étoiles scintillent déjà. Je bâille à m'en décrocher la mâchoire, puis Harunobu m'entraîne vers le bois. La lumière argentée de la lune fait briller les pétales des quelques fleurs qui se sont ouvertes pour la nuit.
Harunobu me mène sous un bouquet de fougères ; j'aurais préféré dormir en haut d'un arbre ou dans un terrier, mais je ne me plains pas. Mon ami loup se couche près de moi ; il a une attitude presque protectrice avec moi, et bien que je n'ai pas besoin de protecteur, je dois avouer que ce n'est pas déplaisant. Je me roule en boule et ferme les yeux, apaisée. Les odeurs de la nuit m'enivrent ; la présence et la chaleur de mon ami me détendent, et je sombre lentement dans un sommeil sans rêves.

Lorsque je me réveille, parfaitement reposée, les premiers rayons de l'aube percent les fougères et illuminent les gouttes de rosée ; on dirait qu'un millier d'étoiles sont tombées dans la forêt pendant notre sommeil. Profitant de la température douce et du fait qu'Harunobu est encore endormi, je décide d'aller chasser.
Harunobu appréciera de se réveiller avec le déjeuner déjà prêt !
J'attrape rapidement deux insouciants merles perchés sur des branches basses. Je retourne ensuite à notre abri, les merles dans la gueule, et en dépose délicatement un devant le museau de mon ami. Il pourra en profiter à son réveil. Je m'allonge près de lui et commence doucement à dévorer mon oiseau en admirant la forêt encore endormie.

Hors RP:

Elle plissa les paupières, cachant à demi ses yeux vairons. Elle eut presque l'air de trouver l'idée absurde, et le loup en fut vexé une fraction de secondes. Même si c'était son choix à elle et qu'il ne pouvait pas la forcer, l'idée qu'elle reste terrorisée par une simple flaque le désolait. Le lendemain matin, Harunobu se réveilla le ventre vide, et seul. Il tourna la tête de tous les côtés en constatant que Vitany était partie chasser le petit-déjeuner. Il se demanda s'ils se reverraient un jour, et secoua la tête. Cela serait mieux si le loup en profitait pour continuer son voyage. Les adieux les plus courts sont les plus douloureux. Il n'arrivait pas à s'imaginer lui dire que c'était la dernière fois qu'elle le voyait. Il ne voulait pas la quitter, cependant, persuadé que c'était une amie précieuse et rare. Mais, le cœur lourd, il se releva. Mais la renarde revint, deux oiseaux dans la gueule. Harunobu mit de côté son départ imminent pour l'instant, et mangea silencieusement en remerciant Vitany d'un regard et d'un battement de queue. Il dévora avec appétit le merle, tout en sachant, une boule dans le ventre, qu'il partageait un ultime repas avec la renarde.
Il se leva, une fois qu'ils furent tous les deux rassasiés, et lui dit, la mine sombre:

"-Je ne te l'ai pas dit, mais je suis à la recherche de mon père. Et je sui sa trace depuis... Depuis plusieurs années. Et je ne peux pas rester ici, donc... Je ne peux pas rester avec toi."

Il baissa la tête et déglutit, les yeux fuyants, puis rivés au sol. Il gratta la terre humide de ses pattes, ne pensant plus qu'à une seule chose: ne plus être seul. Ne plus se parler à soi-même ou devenir silencieux à jamais. Il releva la tête et planta son regard pâle dans le sien, avec un mélange de détermination et de désespoir. Il glapit son ultime question:

"-Est-ce que tu veux bien m'accompagner dans ma quête?"

Harunobu me remercie d'un regard et commence à manger son oiseau en silence. L'aube se lève doucement dans la forêt endormie ; les nuages luisent d'une belle couleur argentée. Je termine mon oiseau, la tête pleine d'interrogations. Que pouvons-nous faire aujourd'hui ? Quand repartir explorer le monde ? Comment quitter Harunobu ? Je me lève en poussant un petit soupir. Mon ami a la mine sombre. Je m'apprête à lui demander ce qui ne va pas quand il prend la parole d'une voix rauque :

- Je ne te l'ai pas dit, mais je suis à la recherche de mon père. Et je suis sa trace depuis... Depuis plusieurs années. Et je ne peux pas rester ici, donc... Je ne peux pas rester avec toi.

Cette révélation me fit un petit choc. Il suivait son père depuis... plusieurs années ?
C'est affreusement long...
Qu'il ne puisse pas rester avec moi, je peux le comprendre, mais qu'il suive son père depuis autant de temps... De ce fait, ma tête se remplit d'autres questions : pourquoi n'est-il pas avec son père ? Il l'a abandonné ? Pourquoi le suit-il alors ? Pourquoi...?
Harunobu a la tête basse et déglutit. Il a l'air presque désespéré. Un peu inquiète pour lui, je cherche son regard, mais ses yeux sont fixés vers le sol, qu'il gratte frénétiquement. Il relève soudain la tête et plante son regard dans le mien. Ses yeux de nacre pâle sont brillants. Il a l'air déterminé et désespéré à la fois ; étrange mélange. Il me demande alors :

- Est-ce que tu veux bien m'accompagner dans ma quête ?

Je l'avoue, je reste figée un instant. Je suis un peu hésitante, à cause de toutes les questions qui me trottent dans la tête, mais je suis surtout contente et excitée à l'idée d'entreprendre un voyage avec Harunobu. Je lui rends son regard et lance d'un ton enjoué :

- Bien sûr ! Si tu penses que tu pourras me supporter, je suis partante !

Je lui fais un grand sourire puis j'ajoute sur un ton qui dissimule mal mon excitation :

- Bon, quand est-ce qu'on part ? Et vers où ? C'est toi qui vois, je te suis !

Puis je viens me planter à sa hauteur, tête et queue hautes, les yeux brillants.

[Au fait, j'ai bien vu ton dessin, d'ailleurs j'étais allée le regarder avant que tu ne le postes ici :')]

Elle s'immobilisa, et le loup crut que tout était fini: leur amitié, leurs rires, cette rencontre joyeuse ponctuée de petits secrets dévoilés. Lorsqu'elle lui rendit un regard neutre, il eut envie de disparaître sous terre tant il se sentait idiot. Il n'aurait jamais dû lui demander cela! Vitany devait avoir d'autres chats à fouetter que de partir à la recherche d'un inconnu. Cependant, il vit l'expression de ses yeux vairon changer, et se transformer en malice, presque en joie.

"-Bien sûr! Si tu penses que tu pourras me supporter, je suis partante!"

Au début, Harunobu eut l'impression qu'elle se moquait de lui en refusant. Mais lorsqu'il comprit son enthousiasme et sa plaisanterie -ou pas?...-, il sourit. Son cœur semblait éclater de bonheur: son amie l'accompagnait! Vitany était aussi excitée que lui, en plus! Elle glapit, fébrile:

"-Bon, quand est-ce qu'on part? Et vers où? C'est toi qui vois, je te suis!"

Le mâle gris se releva, et lui sourit de toutes ses canines. Quelques instants, il ne sut que dire, puis retrouva l'usage de la parole et pointa, avec sa queue touffue, la direction dans laquelle il avait hésité prendre. A présent, il était sûr que c'était ce chemin que son père avait pris. Il avait eu suffisamment de retard comme ça; il fallait accélérer la cadence pour ne pas le perdre.

"-Il faut remonter le fleuve. Ensuite, on verra après les indices. Prête?" Dit-il après lui avoir jeté un regard malicieux.

Harunobu dévoile ses crocs en un sourire radieux et reste ainsi, silencieusement, pendant quelques secondes. Mes pattes tambourinent le sol ; j'ai de l'énergie à revendre et je suis impatiente de partir. Mon nouveau compagnon de route tend sa queue sombre dans la direction d'un long fleuve, s'écoulant depuis le lac et s'enfonçant dans des bois. Je jette un œil vers notre destination, puis pointe le regard vers l'horizon tandis que la voix d'Harunobu s'élève :

- Il faut remonter le fleuve. Ensuite, on verra après les indices. Prête ?

Tant qu'on ne longe pas le fleuve de trop près...
Je hoche la tête avec énergie puis m'accroupis pour prendre mon élan avant de m'élancer aux côtés de mon ami loup. Je suis agréablement surprise par la vitesse et l'amplitude de ses foulées. C'est agréable de courir à ses côtés.
Depuis que nous sommes partis, une heure a dû s'écouler, peut-être deux. Nous trottinons dans l'herbe douce, ponctuée de quelques pierres plates, qui recouvre les rives du fleuve, que nous suivons toujours. Par moments, je jette des regards inquiets à l'eau sombre en m'écartant un peu de la rive. Nous dépassons un roc d'une jolie couleur bleutée et je jette un regard vers Harunobu. Une lueur déterminée brille dans son regard. J'ouvre la gueule, comme pour parler, puis la referme. J'ai tant de questions à lui poser, mais je ne sais par où commencer. Je décide de commencer par une interrogation ouverte. Je prends une inspiration puis lance d'un ton curieux :

- Tu m'as dit que tu cherchais ton père, c'est bien cela ?

Sans attendre sa réponse, j'ajoute dans un sourire engageant :

- Tu pourrais me parler un peu de lui ?

Elle opina de la tête, et, excitée, elle banda ses muscles avant de bondir vers le chemin adéquat. Harunobu la suivit en poussant une petite exclamation de surprise. Il la rattrapa bien vite, et bientôt, dans la lumière rouge du soleil couchant, on pouvait apercevoir deux silhouettes l'une plus menue que l'autre, qui couraient à en perdre haleine. Ils ralentirent bientôt, pour fouler doucement l'herbe grasse qui poussait à côté des galets. L'écoulement de l'eau du fleuve, à une dizaine de mètres d'eux, rassurait le loup gris, comme si cela le berçait. Ils pouvaient apercevoir, en se dressant sur leurs pattes, (Harunobu était alors plus en hauteur que Vitany) le bout du long fleuve. Il retomba à terre, un peu désappointé. Ce chemin allait être moins rapide qu'il ne le pensait, mais tant pis.
Il entend sa camarade de route prendre une grosse inspiration, comme si elle était stressée, et sa tête se tourna vers elle, légèrement inquiet. Mais elle ne fit que lui poser une question déroutante.

"-Tu m'as dit que tu cherchais ton père, c'est bien cela?"

Il resta de glace, son regard pâle posé sur le soleil rouge. Allait-elle rajouter quelque chose? Il faillit  lui dire de se mêler de ses affaires, mais sa voix pleine de douceur et de joie l'en empêcha. Harunobu ne sut que répondre. Ses griffes s'enfoncèrent quand même plus profondément dans la terre meuble à chaque pas. Il voulait plutôt l'entendre parler elle, plutôt que lui.

"-Tu pourrais me parler un peu de lui?"

Cette fois, le mâle se tourna vers la renarde aux yeux vairons et lui jeta un regard dur et froid, un regard qu'il n'avait pas d'habitude, qui refroidissait. Il resta silencieux, puis dit:

"-Quand ma mère est morte, il nous a confiés à une meute, ma sœur et moi, et est parti je ne sais où."

Harunobu se tourne vers moi et son regard dur me fait tressaillir. Il a l'air furieux. J'ai appuyé sur un point sensible, mais il ne peut espérer m'entraîner avec lui dans une histoire dont je ne connais même pas les grandes lignes. Il reste silencieux quelques longues secondes puis répond d'une voix tranchante et froide :

- Quand ma mère est morte, il nous a confiés à une meute, ma soeur et moi, et est parti je ne sais où.

Je plisse les yeux, dubitative. Quel genre de père fait cela ? Abandonner sa compagne et son petit pour disparaître dans la nature sans même leur dire où... C'est indigne d'un vrai père. Je sais que si je continue à lui poser des questions, ça ne plaira pas à Harunobu, ça l'énervera ou ça le rendra triste, mais je tiens à savoir. J'hésite à continuer pendant quelques minutes, voyant à quel point cela l'affecte. Mais autant en finir tout de suite. Je dis alors d'une voix douce :

- Je ne comprends pas pourquoi tu t'obstines à le poursuivre.

Je ne veux pas être dure avec lui ; j'ajoute aussitôt, d'un ton désolé plein de compassion :

- S'il vous abandonnés, ta mère et toi, il n'a peut-être pas envie que tu le retrouves.

Je plonge mes yeux dans les siens, en quête de réponses, et je soutiens longuement son regard, afin qu'il comprenne ce que je ressens. Je suis partante pour l'accompagner, j’en suis même très heureuse, mais j'aimerais savoir, j'aimerais comprendre. Le comprendre, lui, et sa quête qui me paraît alors insensée. Comment pensait-il que ses retrouvailles avec son père, si elles avaient lieu, se passeraient ? Que son père l'accueillerait à pattes ouvertes, lui qui l'a visiblement rejeté alors enfant ? Qu'il le rejettera de nouveau ? Pourquoi, alors, continuer à le suivre ? Si ça se trouve, il ne se souviendra même pas de lui...

Hors-RP:

"-Je ne comprends pas pourquoi tu t'obstines à le poursuivre."

Harunobu s'arrêta net. Il regarda droit devant lui, le regard haineux. Mais de quoi se mêle-t-elle? Pourquoi lui pose-t-elle des questions qui fait ressurgir de la douleur, de la souffrance en lui? Ne pensait-elle qu'à elle et à sa soif de savoir? A sa curiosité?

"-S'il vous abandonnés, ta soeur et toi, il n'a peut-être pas envie que tu le retrouves."

Le loup réagit au quart de tour, ayant senti son sang se glacer dans ses veines. Il avait depuis très longtemps déjà compris pourquoi il faisait ça. Il voulait juste ne pas le savoir. Agir. Sans réfléchir, sans y penser. Il se jeta sur la renarde, la plaquant violemment au sol, l'immobilisant par son poids et sa fourrure. Il se mit à hurler, hystérique:

"-Tu ne comprends rien... RIEEEN!! De quel droit te mêles-tu de ça?! Je t'en pose des questions comme ça?!"

Il la fixait droit dans les yeux, les yeux fous et haineux. Il sentait sa cicatrice le brûler, comme si elle n'avait pas encore complètement disparue. Non. Elle ne disparaîtrait jamais, jamais. Comme si on l'avait marqué au fer, comme lui avait dit les anciens. Cette trace ferait à chaque fois ressortir de la colère, des questions. Elle susciterait la curiosité. Il enfonça un peu plus profondément ses griffes dans les pattes de Vitany.

"-JE N'EXISTE PAS!! PERSONNE NE SE SOUCIE DE MOI, PERSONNE NE VEUT DE MOI!! TOUT LE MONDE ME DÉTESTE! JE VEUX EXISTER! JE VEUX QU'ON SE SOUVIENNE DE MOI! JE VEUX QU'ON ME PAAAARLE!!!"

Ce hurlement l'avait rendu fou furieux. Ces moments dans lesquels on ne contrôle plus rien. On a envie de se déchaîner sur quelqu'un, sur quelque chose. Toutes ces émotions qu'Harunobu avait refoulées au fond de lui remontaient. Il la lâcha et se jeta dans l'eau, ayant patte. Le fleuve venait lui lécher délicatement les pattes, comme pour tenter de le calmer. Il se déchaîna dessus comme un dégénéré et hurla une nouvelle fois.

"-JE VEUX EXISTEEEEER!!!"

Soudain, sans que je puisse réagir, Harunobu me plaque brutalement au sol. Je pousse un petit gémissement quand quelques cailloux pointus m'éraflent le dos. Le poids d'Harunobu m'empêche de me relever ; je croise son regard. Ses beaux yeux de nacre sont emplis de souffrance et de fureur. Il crie d'un ton de forcené :

- Tu ne comprends rien... RIEEEN !! De quel droit te mêles-tu de ça ?! Je t'en pose des questions comme ça ?!

Mes oreilles se baissent quand je réalise que j'avais probablement été cruelle dans ce que j'avais dit. Je n'aurais pas non plus apprécié ce genre de remarques. Je m'apprêtais à m'excuser quand sa prise sur moi se resserra. Ses griffes pénétrèrent un peu plus dans la fine fourrure de mes pattes. Je me fis toute petite, assaillie par la culpabilité. Harunobu hurle, à présent :

- JE N'EXISTE PAS !! PERSONNE NE SE SOUCIE DE MOI, PERSONNE NE VEUT DE MOI !! TOUT LE MONDE ME DÉTESTE ! JE VEUX EXISTER ! JE VEUX QU'ON SE SOUVIENNE DE MOI ! JE VEUX QU'ON ME PAAAARLE !!!

Harunobu...
Je m'apprête à lui rappeler d'une voix douce que je ne le déteste pas, loin de là, mais ses yeux furieux me coupent dans mon élan. Il commence à me faire peur, habité qu'il est par tant de fureur.
Il s'écarte soudainement de moi et bondit dans l'eau. Balançant ses pattes, il fait gicler de nombreuses gerbes d'eau qui me font frissonner. Je me relève, toute tremblante, quand il se met à hurler d'une voix désespérée :

- JE VEUX EXISTEEEEER !!!

Une part de moi se déchire de le voir tant souffrir, mais une autre est titillée par une colère absurde et sans raison. Tournée vers qui, vers quoi ? Aucune idée. Le père d'Harunobu, peut-être, pour créer tant de tourments chez son fils, ou peut-être Harunobu lui-même. Quoi qu'il en soit, maîtrisant le tremblement de mes pattes, je prends une grande inspiration furibonde et, en restant bien où je suis (pas question que je m'approche de l'eau), lance d'une voix forte, aussi forte que mon coffre me le permet :

- MAINTENANT TU VAS M'ÉCOUTER, HARUNOBU !

J'attends qu'il se tourne vers moi ; je tressaille lorsque son regard croise le mien, mais je continue d'une voix plus douce :

- Tu te trompes ! Tu n'es plus seul, à présent ! Moi, je me soucie de toi, et je suis bien loin de te détester.

Je fais un petit pas en avant, priant pour ne pas le regretter.

- Tu existes, et ça je le sais.